La Chaudière
Au cours d’un voyage au Japon, l’artiste a poursuivi ses explorations urbaines en découvrant par hasard des bains publics dans un quartier populaire. A travers les ouvertures que les patrons de l’établissement utilisent pour contrôler le bon déroulement des ablutions, elle a placé son objetif, photographiant à la dérobée des images sans aucune possibilité de cadrage étudié. Le développement de ces clichés lui fait découvrir un monde intime que son indiscrétion n’a en rien défloré. Une grande pudeur se dégage en effet de ces images à l’atmosphère presque amiotique, tant par les positions fétale de ces hommes et de ces femmes que par la douceur ouatée de la chaude buée qui aténue la lumière et les couleurs.
Nicole Kunz, art historian.
+lire plus
La Chaudière
Texte de Fabien Franco, critique d’art
Au cours d’un voyage au Japon, l’artiste a poursuivi ses explorations urbaines en découvrant par hasard des bains publics dans un quartier populaire. A travers les ouvertures que les patrons de l’établissement utilisent pour contrôler le bon déroulement des ablutions, elle a placé son objetif, photographiant à la dérobée des images sans aucune possibilité de cadrage étudié. Le développement de ces clichés lui fait découvrir un monde intime que son indiscrétion n’a en rien défloré. Une grande pudeur se dégage en effet de ces images à l’atmosphère presque amiotique, tant par les positions fétale de ces hommes et de ces femmes que par la douceur ouatée de la chaude buée qui aténue la lumière et les couleurs.
Nicole Kunz, historienne d’art.
________________________________
La Chaudière
Text par Fabien Franco, critique d’art
Les sento, les bains publics japonais, apparurent au VIIIe siècle.
Aujourd’hui, et bien que leur nombre s’amenuise, ils forment au cœur des quartiers un îlot démocratique mixte dans lequel le jeune et le vieux, le cadre et l’ouvrier, la travailleuse et la retraitée s’épurent corps et âmes. L’électrique Tokyo, hyperbranchée, vouée aux gémonies du modernisme contredit l’Occidental.
Drapée dans ses volutes vaporeuses, Edo* se languit, Edo se prélasse dans le feu de l’eau, avant de sortir au grand jour purifiée. Bien que la séparation entre hommes et femmes ait été définitivement instaurée au XIXe siècle avec l’arrivée des pudibonds chrétiens, le regard japonais sur la nudité n’est pas celui de l’Occidental.
La tradition du bain dont l’origine serait issue du culte shinto et de son rituel de purification par l’eau, capté par l’artiste gréco-suisse, puise dans la source de l’homo sociabilis, ce lien indéfectible entre l’être et le néant, l’amour et la mort.
Il ne s’agit pas là d’un simple moment de détente, un nettoyage du corps, mais de l’accomplissement d’un rite qui transcende l’individu et l’inscrit dans une histoire, une quête de l’absolu, un instant d’éternité.
À travers l’œilleton, le regard d’Iseult Labote expérimente le privilège de ne pas exister pour l’autre. Et malgré la gêne qui jaillit de prime abord, quoi de plus extraordinaire que ce qui est donné à voir : l’intimité d’une civilisation.
L’intime d’un lien social, d’une culture, d’une tradition, d’une histoire, évoque la sagesse d’un Tristes Tropiques devenu asiatique.
Le regard étranger n’est pas exempt lui aussi de ses repères habituels et il est aisé d’en appeler à Ingres, imprégné d’orientalisme, exaltant la sensualité d’un bain public composé exclusivement de femmes vu là encore à travers l’œilleton créatif, dans son Bain turc ; au pop art aussi dont les touches successives ponctuent le champ de vision de notes acidulées. La transgression flagrante de la forme photographique permet comme un effet de boomerang de dépasser la première impression et de plonger littéralement dans un authentique bain de civilisation.
La prouesse mêlée d’audace d’Iseult Labote perçoit d’instinct raisonné, la scène qui se joue : entre réalité sociale et choc artistique, nous retrouvons là-encore l’essence même du travail de l’artiste.
Les voix murmurées couvertes par l’écoulement des eaux ne font-elles pas écho au silence assourdissant des tableaux industriels ? Ces photographies de paysages périurbains, égarés, de chantiers, d’usines sublimées.
D’un côté la main de l’homme est suggérée, de l’autre elle est transcendée. Dans les deux cas, au centre de l’attention, l’art d’Iseult Labote touche l’humanité. Le regard scrute et décèle à chaque fois, l’humble condition humaine, la sacralité aussi.
Processus du shooting
Évènement déclencheur : le chat.
Intriguée par ces bains publics inexistants à Genève (malgré la présence de spas aux antipodes des bains japonais, qui cultivent l’individualisme et le confort consumériste),
Iseult Labote de passage au Japon cherche à capter leur essence, leur fonction première. Soudain au détour d’une ruelle, dans un quartier populaire, l’artiste aperçoit un chat. Intuitivement, elle suit le félidé qui la conduit directement dans les coulisses : la chaudière. Là, dans la pénombre et la chaleur, l’œil d’Iseult Labote comprend qu’il ne faut pas tarder :
le shooting durera moins d’un quart d’heure. Le temps nécessaire pour photographier, écrire la lumière, la vapeur, les gestes, les postures…
(*) Ancien nom de Tokyo en vigueur jusqu’au XIXe siècle.

LA CHAUDIERE n°VII, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°VI, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°I, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°III, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°VIII, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°IX, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°V, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°II, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°IV, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec

LA CHAUDIERE n°X, 2005
60 x 90 cm
C-print, diasec